L’Afrique de l’Ouest représente plus de la moitié de la récolte mondiale de noix de cajou. Pourtant, l’essentiel de la transformation s’effectue… en Asie. Dans ce schéma, les producteurs africains perdent une part énorme de la valeur ajoutée : environ 50 % du prix d’une cajou provient de la transformation.
La Côte d’Ivoire est parvenue à transformer localement la moitié de sa production. Mais au Sénégal, la quasi-totalité des noix brutes continue d’être expédiée vers les unités de décorticage asiatique, notamment au Vietnam.
C’est pour rompre avec ce modèle que nous nous sommes impliqués aux côtés de trois organisations de producteurs et de l’ONG AVSF dans la création d’ETHICAJOU. Cette unité de décorticage, inaugurée en Juin 2022, valorise les récoltes de 1 200 producteurs bio de Casamance.
Ce projet nous tient tout particulièrement à cœur. Son fonctionnement est inédit. Si AVSF et Ethiquable sont actionnaires d’Ethicajou pour accompagner les premières années de démarrage de la structure, notre volonté est bien de pouvoir, petit à petit, sortir du capital afin que les trois organisations soient seules aux commandes.
POURQUOI CRÉER DES ENTREPRISES AVEC LES COOPÉRATIVES DE PRODUCTEURS ?
Pour notre SCOP, le Sahel est un territoire où l’engagement prend tout son sens. La sous-région subit le désengagement progressif de l’aide publique au développement, tout en restant confrontée à de fortes fragilités économiques, sociales et climatiques. Pourtant, elle conserve une grande vitalité paysanne, et peu d’opportunités existent pour y développer des filières bio et équitables durables.
C’est pourquoi nous avons choisi d’y investir temps, ressources et énergie : travailler directement avec les organisations paysannes locales, renforcer leur autonomie et, à notre mesure, ouvrir de nouvelles perspectives économiques et sociales aux familles rurales.
Il n'existe pas ou peu d'entreprises de transformation, ou que celles-ci sont contrôlées par de grandes entreprises aux intérêts opposés aux organisations de producteurs, nous estimons qu'il est pertinent d'investir et de créer de la valeur au bénéfice des filières paysannes. C'est ce que nous avons fait au Pérou et au Guatemala où les organisations de producteurs ont créé leur propre usine de transformation de fèves en pâte de cacao. Nous avons décidé de contribuer à développer ce modèle au Sénégal dans une filière stratégique, celle de la cajou.
Opérations de décorticage puis dépelliculage de la noix de cajou dans l'unité de transformation d'Ethicajou
LES DÉFIS RENCONTRÉS
L’aventure débuté il y a trois ans n’a pas été sans obstacles. Depuis son lancement, Ethicajou a traversé une zone de turbulences :
- avec une flambée du prix des noix brutes
- des problèmes de calibre des cajous
- et la sécheresse de 2024 qui réduit les récoltes à néant.
Les trois premières années ont laissé des pertes, mais aussi une expérience précieuse.
En 2024 et 2025, un travail de restructuration en profondeur a été mené avec toutes les parties prenantes. Deux priorités ont émergé :
✅ Améliorer la production : greffage et replantation d’anacardiers pour obtenir des noix de plus gros calibre, mieux adaptées au décorticage.
✅ Renforcer le triage : grâce à des calibreuses mobiles, le tri s’effectue désormais directement chez les producteurs, beaucoup plus rapidement. Des formations au contrôle qualité permettent d’optimiser le rendement à l’unité de transformation.
À cela s’ajoutent une prime qualité pour récompenser les producteurs, et l’utilisation de la prime du commerce équitable pour financer des structures de stockage, des bureaux et même des tricycles de collecte.
Les équipes d'AVSF et d'Ethiquable en visite à la coopérative en novembre 2024
Les premières productions livrées à l’unité se sont avérées de qualité variable. Or, pour un décorticage optimisé, les noix doivent avoir un certain calibre.
Les producteurs se situent dans une zone avec des anacardiers assez anciens, des variétés rustiques donnant de petites noix, plus compliquées à travailler.
Les équipes en charge du suivi du projet chez AVSF et Ethiquable se sont rendues en Casamance en novembre 2024 et avril 2025 pour faire le point. Deux axes ont été priorisés avec les producteurs.
Accompagnées par AVSF, les trois coopératives ont travaillé à la fois :
✅ sur l’amélioration de la production : greffage, rénovation avec de nouveaux plans pour livrer des cajous de plus grande taille
✅ sur l’amélioration du triage : des calibreuses mobiles permettent de trier les noix plus rapidement et directement chez les producteurs. Des producteurs ont été formés au contrôle qualité et supervisent cette étape pour avoir une production plus adaptée à la transformation et avoir un meilleur rendement dans l’unité de décorticage.
✅ sur la mise en place d’une prime qualité pour encourager l’amélioration des productions
✅ sur l’investissement de la prime du commerce équitable dans des structures de stockage, des bureaux et des tricycles de collecte, moto à trois roues avec plateforme de chargement
Une calibreuse mobile permet de trier les noix de cajou après récolte directement chez les producteurs. La capacité est de 1 à 2 tonnes de noix brutes triées par jour. Avant, il fallait une semaine pour trier la même quantité.
POURQUOI PERSÉVÉRER ?
Parce que le projet répond à des enjeux forts :
- ENGAGEMENT AU SAHEL : une région où l’agriculture est fragile, où les opportunités sont rares. Ethiquable a choisi d'être présent au Sahel en raison de ses problématiques interpelantes, de notre proximité géographique et de nos liens forts avec cette région. L'agriculture du Sahel offre peu d'opportunités pour nos gammes de produits, mais la cajou en est une.
- TRANSFORMATION LOCALE : alors que l’Afrique de l’Ouest fournit 50 % de la consommation mondiale, le Sénégal ne transforme encore que… 1 % de sa récolte. Les noix brutes sont expédiées en Asie où la transformation est concentrée.
- DYNAMIQUE PAYSANNE : L'anacardier s'est imposé comme une alternative viable, rémunératrice, et non-administrée, nécessitant peu d'investissement monétaire et aucun intrant. Aujourd'hui, la cajou est la première ressource monétaire des villages de Casamance.
« Ethicajou représente le premier réseau ouest-africain avec autant de producteurs certifiés bio. Quand on a vu cette force, nous nous sommes dit : ne nous arrêtons pas ! »
- Frédéric Apollin, Directeur général délégué d’AVSF
Frédéric Apollin et Pierre Du Buit responsables du projet chez AVSF - Kabirou Djitte et Idrissa Ndour représentants d'Ethicajou - Christophe Eberhart et Jean-Baptiste Rogez responsables du projet chez Ethiquable
Des résultats déjà là
Aujourd’hui, un beau parcours a été accompli par ces quatre organisations :
✅ créer le premier réseau de producteurs de cajou bio au Sénégal, avec 1 200 paysans et 1 800 hectares en bio certifié et géo-référencé
✅ mettre en place une traçabilité exemplaire : 1 sac = 1 code = 1 producteur
✅ renforcer la gouvernance : les quatre coopératives détiennent désormais 70 % des parts d’Ethicajou.
Et demain ?
Depuis plus de 50 ans, l’anacardier est cultivé en Casamance pour sa capacité à protéger les sols et à lutter contre la désertification. Dans les années 1990-2000, il a progressivement remplacé l’arachide et le coton en crise. Aujourd’hui, la cajou est devenue la première ressource monétaire des villages de Casamance.
Avec Ethicajou, les conditions sont réunies pour consolider une expérience unique au Sénégal : une filière qui ne se contente pas d’exporter des noix brutes, mais qui construit une valeur ajoutée locale et durable au bénéfice des producteurs.
Kabirou Djitte et Idrissa Ndour, Président et Directeur d'ETHICAJOU
