Bio : le nouveau règlement européen met en péril les petits producteurs du Sud
Depuis janvier 2025, une réforme du règlement européen sur l’agriculture biologique (UE 2018/848) bouleverse profondément le quotidien des coopératives partenaires. Pensé pour renforcer la crédibilité du bio, ce nouveau cadre introduit pour la première fois une reconnaissance réglementaire de la certification collective, un modèle largement répandu en Afrique, Asie et Amérique latine. Une avancée, certes, mais mise en œuvre dans des conditions qui menacent aujourd’hui l’inclusion même de ceux qu’elle est censée protéger.
Lire le texte de position porté par Agronomes & Vétérinaires Sans Frontières - AVSF et ETHIQUABLE
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Un choc réglementaire mal anticipé
Audits plus nombreux, prélèvements d’échantillons, frais multipliés, création de structures juridiques supplémentaires... Partout, les coopératives paient le prix fort : coûts de certification doublés, complexité administrative accrue, délais allongés pour les exportations.
Au Togo, notre coopérative de cacao partenaire a vu ses frais d’audit passer de 9 000 à 19 500 €. Au Burkina Faso, COOPAKE subit désormais trois contrôles annuels au lieu d’un seul. Résultat : certaines filières ralentissent ou se déstructurent.
"Pour pouvoir exporter, il faut désormais compter un mois et demi supplémentaire afin de recevoir les résultats des audits et des analyses, justifier les non-conformités mineures, obtenir le certificat, faire une demande de certificat d'exportation (COI), le recevoir et enfin pouvoir exporter. » Responsable de l’appui à la certification d’une coopérative de producteurs de fruits et épices à Madagascar
Une exclusion silencieuse des plus vulnérables
Le seuil de 2 000 membres pour organisations de producteurs bio imposé par le règlement contraint les coopératives à se scinder artificiellement. Cela revient souvent à écarter les petits producteurs qui ont des petits volumes de récolte - des producteurs pourtant au cœur du modèle paysan et bio que nous défendons. Pour rester en conformité, certaines organisations n’ont d’autre choix que de restreindre leur base adhérente ou de quitter la certification bio.
« Notre organisation compte plus de 3000 producteurs mais nous n’avons pas les ressources humaines et financières pour créer deux organisations avec deux systèmes de contrôle interne distincts, tels que le stipule le nouveau règlement. Nous allons donc réduire le nombre de membres à 2 000 et privilégier les producteurs des zones les plus productives. » Responsable d’une organisation de producteurs de karité au Burkina Faso.
Propriété du certificat : un droit encore théorique
Autre changement de taille : le certificat bio doit désormais appartenir aux producteurs eux-mêmes. Un point sur lequel nous avons toujours milité, quand bien même nous avons souvent la certification bio des coopératives les plus précaires. Peut-on encore accepter qu’un producteur et son groupement n'aient pas la main sur sa propre certification, alors que c’est son travail, ses pratiques, ses efforts qui la justifient ?
C’est donc une avancée majeure sur le papier, mais dans les faits, des opérateurs privés cherchent encore à contourner cette règle pour garder la main sur la filière au détriment de l’indépendance des producteurs. La souveraineté des coopératives sur leur certification reste fragile, sans accompagnement ni sanctions contre les pratiques abusives.
Au Cambodge, dans la région de Preah Vihear, des producteurs livrent un exportateur de cajou bio, une usine de transformation de manioc bio, et enfin un troisième exportateur de riz. Au total : trois certificats bio dont aucun n’appartient à la coopérative de producteurs.
Réconcilier rigueur et équité
Avec l’ONG Agronomes et Vétérinaires Sans Frontières, nous portons quatre demandes simples et concrètes aux institutions européennes :
1️⃣ Reporter l’application du règlement dans les pays tiers à décembre 2026.
2️⃣ Encadrer les coûts de certification et les pratiques abusives.
3️⃣ Créer un observatoire indépendant pour mesurer les effets du règlement.
4️⃣ Renforcer la voix des producteurs dans les instances de régulation.
Ces quatre propositions se basent sur les retours de terrain de dizaines d’organisations de producteurs partenaires des pays du Sud. Terrains que nos deux structures partagent lors du montage de filières paysannes bio et équitables.
La bio ne peut pas être crédible si elle exclut les acteurs les plus engagés. Il est temps de construire un cadre qui garantisse à la fois rigueur et justice, pour que les petits producteurs restent au cœur du projet agricole qui concilie équité et transition écologique.