L'envolée du cacao est-elle structurelle ou conjoncturelle ?
Les cours du cacao ont été multipliés par 4. Ils se sont maintenus à ce niveau extraordinairement élevé depuis plus d’un an. La cause est connue : une mauvaise récolte en Afrique de l’Ouest qui produit 70% du cacao mondial, à la suite de mauvaises conditions climatiques. Nous partageaons nos réflexions sur l’évolution de la filière cacao. Deux scénarios opposés peuvent se dessiner
- Les prix hauts vont se maintenir élevés, car ils sont une conséquence durable du changement climatique. Le cacao pas cher n’existera plus.
- Une fois la mauvaise récolte passée, les cours baisseront. Certes avec un effet retard prolongé pour absorber le déficit, mais ils baisseront.
Scénario 1
Bienvenue dans l’ère du changement climatique et du chocolat rare !
L’envolée des cours du cacao est un point de rupture entre une époque faste au cacao abondant et pas cher, et une nouvelle ère de pénuries répétées marquée par le changement climatique.
⇢ Les cacaoyers sont fragiles, ils résistent mal aux à-coups des sécheresses et des excès de pluies.
⇢ Certaines zones de culture deviennent inaptes au cacaoyer.
⇢ La concentration de 70 % de la production mondiale sur seulement deux pays augmente le risque climatique.
⇢ Les événements climatiques à répétition vont affecter de façon permanente l’une ou l’autre des régions productrices de cacao.
⇢ La cacaoculture d’Afrique de l’Ouest est à bout de souffle. Elle est dans la dernière phase du « boom du cacao ». En l’absence de nouvelles forêts à défricher, la production va décliner.
⇢ L’explosion de la maladie virale du swollen shoot est un symptôme de la crise profonde : baisse de la fertilité des sols, mauvaise santé des cacaoyers vieillissants et pression sanitaire due à une trop forte densité de la monoculture.
⇢ Deux décennies de prix trop bas ont généré la pauvreté des producteurs et rendent impossible l’avènement d’une culture durable.
Selon cette hypothèse, les conséquences du changement climatique vont peser de façon structurelle sur le marché. Ce serait la fin du cacao pas cher et de son utilisation massive dans les produits de grande consommation. Il faudrait demain consommer mieux et moins. Le cacao deviendrait un aliment qualitatif au prix élevé.
Scénario 2
Rien de nouveau sous le soleil, le cacao va retrouver son cycle habituel !
Selon cette vision pragmatique, tôt ou tard, les cours vont s’effondrer et générer une nouvelle dégradation des revenus des producteurs.
⇢ Les prix hauts vont inciter les producteurs à planter, à tailler et à fertiliser les plantations. La production va croître rapidement, notamment en Amérique latine.
⇢ En Côte d’Ivoire, une nouvelle dynamique peut émerger. Le pays dispose d’atouts forts : ample savoir-faire des producteurs et soutien de l’État.
⇢ Partout dans le monde, les paysans sont disposés à cultiver le cacao. Même à prix bas, ils produisent du cacao parce qu’il n’y a pas d’autres opportunités économiques. À prix hauts, ils décident de consacrer plus de temps au cacao.
⇢ Le cycle habituel de saturation du marché est de 5 à 7 ans, la durée pour obtenir une première pleine récolte. Demain, de nouvelles périodes de prix bas et des revenus paysans insuffisants sont possibles.
En guise de conclusion
Si cette hypothèse s’impose, le marché de masse tirera son épingle du jeu. Les géants du cacao bénéficieront des prix élevés aux consommateurs. La valeur ajoutée ira plutôt au marketing et à la communication, et beaucoup moins aux producteurs et à l’agriculture durable. Le chocolat redeviendra un ingrédient industriel indispensable.
Il sera plus que jamais nécessaire de développer des filières alternatives, de rémunérer de façon stable le bio, la qualité et les produits issus de l’agroforesterie. Le besoin de commerce équitable s’imposera plus que jamais.
Selon les interlocuteurs, vous avez forcément entendu ces deux scénarios.
Difficile de choisir l’un ou l’autre des scénarios avec certitude.
Mais, dans le contexte d’un marché du cacao ultra-concentré (5 entreprises achètent 70 % du cacao mondial) et d’un secteur productif aussi atomisé (5 millions de petits producteurs de moins de 10 hectares), il serait très surprenant que le scénario 2 du retour à la normale et du "business as usual" ne s’impose pas.