Une nouvelle coopérative au Burkina Faso
Et de 70 ! La COOPAKE est la 70e organisation paysanne avec laquelle nous travaillons. Trois produits réalisés à partir de ses récoltes arrivent dans les rayons ces jours-ci : l'huile de sésame grillé, l'infusion glacée Hibiscus Litchi et les noix de cajou.
L'occasion de revenir sur une étape essentielle lorsque nous créons une nouvelle filière équitable bio : le choix d'une coopérative.
Adrien Brondel, un des quatre agronomes-filière de notre aimable SCOP, retrace les étapes et les 4 missions qui l'ont amené au Burkina.
Il répond à la question clef : pourquoi cette coopérative plutôt qu'une autre ?
La COOPAKE au Burkina Faso est notre 70e partenaire. Nous travaillons avec 11 organisations en France avec Paysans d'ici et 59 coopératives en Amérique latine, Afrique et Asie avec ETHIQUABLE.
Nos projets de commerce équitable ont un impact direct pour 46 530 producteurs dans 27 pays.
Pourquoi avoir recherché une nouvelle coopérative ?
Adrien Brondel : Le projet de départ est de structurer une nouvelle filière de noix de cajou. Nous travaillons avec 3 organisations de producteurs de cajous : FTAK en Inde, APRAINORES au Salvador et COPABO en Côte d'Ivoire.
Notre principe sur la noix de cajou est d'acheter exclusivement la cajou décortiquée directement par les coopératives. Ce point est incontournable. Une amande de cajou décortiquée vaut 5,5 fois plus qu’une noix brute et un atelier de décorticage est une source d’emplois et de valeur ajoutée en zone rurale.
De plus, le décorticage de la noix de cajou est un facteur clef pour accéder au marché : une coopérative qui propose des noix brutes vend uniquement à des intermédiaires et des grossistes qui ensuite exportent. A l'inverse si une coopérative vend des cajous décortiquées, elle commercialise un produit semi-fini et peut le proposer à des partenaires étrangers.
Le décorticage est une étape primordiale pour changer le statut des coopératives dans la filière : de fournisseurs de matière première, elles passent au rang d'exportatrices de produits semi-finis, ce qui renforce considérablement leur pouvoir de négociation face aux acteurs de la filière.
Sans cet aspect, l'impact du commerce équitable est faible et peu en capacité de générer un réel impact pour les producteurs.
Présentation du projet d'ETHIQUABLE aux producteurs membres de la COOPAKE
par Adrien Brondel, en décembre 2016
Fin 2015, nous sommes dans une impasse avec la COPABO, notre partenaire depuis 11 ans. Nous avons appuyé la coopérative pour mettre en place trois unités villageoises de décorticage, puis une unité centralisée sur la coopérative. Cependant, la coopérative qui a d'autres clients, s'est progressivement tournée vers la commercialisation de noix brutes. Les 8 tonnes de cajou décortiquée que nous leur achetons ne sont pas suffisantes pour rentabiliser les ateliers de décorticage : la COPABO souhaite fermer son atelier.
Pour que le partenariat continue d'exister, la COPABO nous propose de faire décortiquer les cajous par une multinationale qui possède des usines en Côte d'Ivoire. Cela suppose une perte totale de la traçabilité et du contact avec les producteurs. La perspective n'est pas envisageable (même si la solution est plus intéressante financièrement). Nous décidons donc d'arrêter nos achats progressivement, sachant que cet arrêt ne met pas en péril la COPABO qui conserve d'autres débouchés en croissance sur la noix brute.
Par ailleurs, les coopératives FTAK et APRAINORES nous fournissent leur "maximum de production" : la ressource en noix brutes est limitée par les petites surfaces des vergers des membres d'APRAINORES et par la forte demande du marché local pour la FTAK. Nous devons donc développer une nouvelle filière, de préférence sur une origine africaine où nous pensons que notre partenariat pourra avoir de l'impact.
Visite d'une délégation de la COOPAKE dans nos bureaux en octobre 2016. Souleymane Konate, coordinateur de la coopérative COOPAKE, tient dans ses mains le futur produit que nous allons faire ensemble. Ce que nous ne savons pas à l'époque, c'est que nous allons en imaginer trois.
Comment est arrivée l'idée du Burkina Faso ?
Le Burkina Faso est un pays sahélien enclavé de 17 millions d’habitants, essentiellement agricole et sans réelles ressources naturelles. Entre 80 et 85 % des Burkinabés vivent de l'agriculture et de l'élevage. Les faibles rendements les rendent très vulnérables aux aléas climatiques. La dépendance aux marchés mondiaux les exposent fortement à la variabilité des prix sur le marché mondial.
Nous ciblons des territoires pour lesquels notre commerce équitable est un vecteur de développement.
La «patrie des hommes intègres» se range 183e sur 187 au classement de l’Indice de développement humain. Le pays qui reste extrêmement pauvre, participe faiblement aux chaînes de valeur mondiales. Les principaux obstacles sont l’accès aux infrastructures et l’accès et la fiabilité de l’énergie.
Récolte du sésame bio à la COOPAKE en 2017
Donc, l'objet de la mission de repérage est de trouver une coopérative de noix de cajou au Burkina ?
Oui... mais pas seulement !
En général, quand nous identifions un besoin de matière première, nous cherchons à le conjuguer avec d'autres matières premières pour diversifier les débouchés pour la coopérative.
Acheter un seul produit à une coopérative peut effectivement générer une dépendance, avoir peu d'impact si les volumes sont faibles, et surtout pousser vers un modèle agricole peu diversifié, ce qui n'est pas notre objectif.
Sur ce projet, un schéma s'est rapidement dessiné autour de la cajou et du sésame. Ces deux cultures sont en effet bien diffusées dans la bande sahélienne. Surtout le sésame est une plante de plein champ qui s'intègre bien avec des arbres cultivés comme l'anacardier (qui produit les noix de cajou) ou le karité. La feuille de route est donc de trouver des cajous pour nos produits apéritifs et du sésame pour créer potentiellement une huile de sésame.
Association sésame et anacardier sur la parcelle d'un membre de la COOPAKE en 2017 et fruit de l'anacardier, la future noix de cajou
Comment as-tu repéré les 3 coopératives visitées ?
Quand j'atterris à Ouagadougou, j'ai trois organisations à rencontrer. Pendant environ trois mois avant le départ, nous avons croisé nos réseaux pour les cibler.
Le travail d'ETHIQUABLE avec les organisations paysannes est bien identifié et reconnu auprès des ONG qui appuient les communautés rurales avec de l'assistance technique, de la formation ou des montages de projets en lien avec de grands bailleurs de fonds.
Nous sommes souvent en contact lors de nos missions de terrain avec des associations comme Agronomes et Vétérinaires Sans Frontières, le Rongead ou Inades-Formation... En plus des contacts que nous compilons à partir de notre expérience, les chargés de programmes de ces ONG sont une bonne source d'informations pour vérifier que nos "critères" d'engagement seront remplis.
Effeuillage de l'hibiscus Sabdariffa en bordure de parcelle
d'un membre de la COOPAKE, décembre 2017
Pourquoi choisir la COOPAKE ?
Il s'est avéré en échangeant avec les deux autres organisations que notre projet n'aurait pas l'ampleur que nous recherchions. Pour l'une, une coopérative de 17 000 femmes, les volumes d'achat n'auraient concerné que les récoltes de 40 productrices, avec à la clef un impact très dilué. Nous avons aussi écarté la deuxième coopérative car faute d'unité de décorticage, il n'y avait aucune possibilité que la valeur ajoutée du décorticage des cajous reste dans les mains des paysans.
Par contre, la COOPAKE nous a séduit par son histoire assez rare avec plus de 55 ans d'existence. C'est l'une des premières coopératives créées au Burkina, avec à l'origine 9 producteurs de mangue. Elle compte aujourd'hui 150 producteurs de cajou et de mangues et 80 femmes productrices d'hibiscus.
La COOPAKE nous a surtout impressionné par sa forte vision du développement des communautés, une vision que nous partageons.
Ces producteurs ont toujours cherché - souvent sans appui - à trouver des solutions pour valoriser leurs récoltes. Et ce, malgré les difficultés logistiques, de stockage, de transport et le contrôle du milieu rural par l'Etat qui, à une époque, limitait le degré d’initiative de la coopérative.
Un exemple parmi d'autres. A ses débuts, l’activité de la coopérative se limitait au groupage et à la vente des mangues fraîches. Mais une grande partie du stock de mangues pourrissait car la COOPAKE ne trouvait pas d’acheteurs immédiatement après la récolte. En 1995, les producteurs se lancent donc dans la production de mangues séchées - une vraie innovation pour cette communauté et dans le pays. L'atelier de séchage emploie aujourd'hui 80 femmes pendant cinq mois de l'année. Ce succès est aussi lié à la stratégie de la coopérative de passer en bio au début des années 2000.
Parcelle d'un producteur de mangue et atelier de séchage
des mangues de la COOPAKE, juin 2016
A quel enjeu répond ce nouveau partenariat pour la coopérative ?
Lorsque nous nous rencontrons, ces producteurs font face à plusieurs problématiques.
Faute de clients, la COOPAKE avait arrêté la certification équitable en 2012 et 2013. Mais dans un marché de prix bas qui ne valorise pas la qualité, la coopérative renouvelle sa conviction que la solution ne peut passer que par le commerce équitable et ses prix rémunérateurs !
A partir de 2014, la COOPAKE entreprend donc à nouveau les démarches de certification équitable. Elle maintient sa certification depuis lors, mais sans aucun acheteur équitable à l'horizon. Cette certification devient un coût à supporter, coût assumé par la vision que le prix rémunérateur du commerce équitable est une vraie opportunité, la seule perspective valable pour la coopérative.
Autre conviction visionnaire de la coopérative : en 2014, la COOPAKE fait un emprunt pour construire une unité de décorticage de cajou. L'atelier sera finalisé à la fin-2016. Mais, là, à nouveau, aucun acheteur de cajou décortiqué n'est identifié.
Enfin, seuls 100 producteurs de cajou sont certifiés bio sur les 150.
Sur ces trois points, nous pouvons apporter des réponses à la COOPAKE en faisant progresser la conversion en bio et en rentabilisant le certificat commerce équitable et le futur atelier de décorticage.
Seul souci de notre côté, les producteurs ne cultivent pas de sésame. Au contraire, la COOPAKE y voit un intérêt : faire grandir la coopérative en intégrant 50 nouveaux membres producteurs de sésame, tout en ayant la garantie d'un débouché rémunérateur.
A partir de ces constats et bien d'autres, nous avons signé un contrat à la mi-juillet pour une durée de trois ans minimum, bien entendu renouvelable, avec un préfinancement à hauteur de 40 %.
Les femmes productrices d'hibiscus de la COOPAKE, juin 2016
Comment avez-vous défini les 4 prix équitables avec la COOPAKE ?
Pour définir un prix équitable, nous avons une méthodologie d'enquête et de calcul.
La première étape consiste à aller dans les parcelles, interroger des producteurs.
Nous cherchons d'abord à établir l'itinéraire technique, c'est-à-dire toutes les étapes entre la préparation du sol jusqu'à la récolte. Nous relevons les surfaces cultivées par producteur et leur rendement. Nous enregistrons pour chaque étape les coûts.
Par exemple pour le sésame : combien de jour de travail pour le labour, au besoin le coût de location des ânes et d'une charrue, le nombre d'hommes/jour de travail pour le semis, le désherbage, le battage, le séchage et le transport.
Nous estimons ensuite le coût d'un travail décent en tenant compte des salaires pratiqués dans la zone (par exemple le salaire attendu pour un travail non-qualifié en ville) et en intégrant les "SMIC" nationaux lorsqu'ils existent.
Nous obtenons un prix au producteur (prix bord champs) auquel nous ajoutons les coûts pris en charges par la coopérative jusqu'à l'export (prix FOB) : opérations de transformation (vannage dans le cas du sésame), les pourcentages de pertes, le conditionnement, la certification BIO
La deuxième étape consiste à confronter ce calcul de coût de revient empirique aux prix pratiqués dans l'économie "classique" et en commerce équitable.
Nous relevons par enquête les prix du marché local pratiqués par les collecteurs et intermédiaires. Si la matière première est produite dans d'autres pays, nous examinons aussi les cours mondiaux. Pour les prix équitables, nous consultons les prix minimaux établis par les référentiels de commerce équitable comme Symbole des Producteurs Paysans, ECOCERT
La dernière étape est de demander à la coopérative sa propre cotation.
Le travail que nous effectuons n'est pas en concurrence avec les prix proposés par la coopérative. Souvent, il apporte un éclairage précis de la décomposition du coût à l'organisation. Sur le sésame, nous sommes arrivés à 1300 $ la tonne (hors prime du commerce équitable) contre les 1 000 $ la tonne du marché, à l'époque.
Pour la cajou, nous avons procédé autrement car la flambée des cours atteint chaque année des records depuis trois ans. Les cours mondiaux s'établissent très au-dessus des prix minimums des référentiels de commerce équitable. La COOPAKE nous a proposé son prix et nous nous sommes assurés que le prix payé producteurs couvrait effectivement les frais courants et un niveau de vie décent et que ce prix se situait à un niveau supérieur aux prix pratiqués par les collecteurs en brousse.
Tri du sésame à la COOPAKE, novembre 2017
Un an et demi après la signature du contrat, les produits arrivent en France...
... et cela n'a pas été simple ni pour la COOPAKE, ni pour nous. Les producteurs de sésame ont été formés à la bio par le technicien de la coopérative. ECOCERT est venu enregistrer toutes les parcelles, a analysé la traçabilité des lots, a pris des échantillons pour analyser les résidus de pesticides. Ils ont obtenu la certification bio sans problème grâce au travail déployé. Ensuite, l'unité de décorticage des cajous n'était pas totalement montée. Et les producteurs ont dû retrouver le savoir-faire pour mettre en route l'atelier et répondre à nos exigences de qualité.
De notre côté, nous avons eu beaucoup de difficulté avec les douanes pour débloquer les produits. Surtout, nous avons dû inventer de nouvelles recettes.
Car finalement, pour avoir un véritable impact pour tous les membres de la COOPAKE, nous avons acheté des cajous, du sésame mais également de l'hibiscus et de la mangue séchée... sans véritablement avoir une idée de produits à commercialiser.
Mes collègues de la R&D ont planché et inventé l'infusion Hibiscus Litchi et un nouveau produit (chuuut) dont on vous parlera prochainement.
Il faut aussi ajouter un mot sur l'Huilerie Beaujolaise qui transforme le sésame en huile. Jean-Marc Montegoterro est un artisan huilier au cœur du Beaujolais. Ses huiles sont connues des plus grands chefs cuisiniers. Son huilerie artisanale ne fait pas de prestation pour d'autres entreprises, mais quand nous nous sommes rencontrés, Jean-Marc Montegoterro a été séduit par notre démarche. Il a décidé d'y ajouter son savoir-faire pour créer un fin équilibre entre sésame grillé et sésame nature. Savoir que les graines des paysans du Burkina sont travaillées par l'un des meilleurs huiliers de France apporte bien évidement une note savoureuse à ce projet.
L'équipe de la COOPAKE avec Adrien Brondel en novembre 2017
Un dernier mot sur le nouveau four à pyrolyse de l'atelier de décorticage. Ce four qui transforme des déchets en énergie est une avancée décisive pour la COOPAKE ?
On peut même parler d'innovation. Pour décortiquer une noix brute de cajou, le fruit doit être passé à la vapeur pour fracturer la coque facilement et extraire l'amande (la noix de cajou). La cuisson à la vapeur est généralement réalisée à partir de bois de chauffe ou de gaz butane.
Avec cette technologie imaginée par des ingénieurs du RONGEAD - en savoir plus sur ce four à pyrolyse, ce sont les propres coques de cajou issues de ce même décorticage qui deviennent le combustible de l'atelier de décorticage. Autrement dit le déchet issu de la transformation devient une ressource pour la coopérative.
Le four à pyrolyse installé à la COOPAKE, novembre 2017
Souleymane Konate, coordinateur de la coopérative qui est notre interlocuteur à la COOPAKE, explique les problèmes que le four installé en avril 2017 a résolus. "Les coques de noix de cajou sont problématiques parce qu’elles sont volumineuses, corrosives et imputrescibles. Quand on les incinère pour s’en débarrasser, cela produit une fumée épaisse et irrespirable. De son côté, l'atelier de séchage de mangues produit des résidus qui fermentent très facilement et génèrent des liquides acides. Ils sont responsables d’une pollution biologique de l’eau. Ils sont aussi un milieu de propagation massive des mouches des fruits, qui produisent de véritables nuisances pour la population riveraine et pour les vergers."
Avant les déchets des deux ateliers de la coopérative étaient un fardeau, maintenant ils sont un atout.
Ce four offre d'autres atouts. Ses "propres déchets" - les résidus de chauffe des coques de cajou - sont semblables à du charbon qui pourra à l'avenir être commercialisé par la COOPAKE.
Quand on sait que la seule source d'énergie accessible aux communautés rurales est le bois de chauffe et que c'est une des premières causes de déforestation, on perçoit bien que ce four aura des retombées qui dépassent largement l'atelier de décorticage.
Un four financé par le programme EQUITE. L’Agence Française de Développement (AFD) et le Fond Français pour l’Environnement Mondial (FFEM) financent un programme de 19 projets en Afrique de l’Ouest, afin de soutenir les approches innovantes fondées à la fois sur le commerce équitable et la préservation de la biodiversité. Lorsque que ce programme EQUITE s'est monté, nous avons averti la COOPAKE et travaillé en concertation avec les équipes du RONGEAD pour que la COOPAKE puisse bénéficier d'un soutien financier et technique pour mettre en place le fameux four.Plus d'info sur le programme EQUITE