Le Règlement européen contre la déforestation (RDUE) doit entrer en vigueur en janvier 2026 pour les grandes entreprises et en juillet 2026 pour les plus petites - à moins d’un nouveau report. Son ambition : interdire l’importation de cacao, café, soja, huile de palme, viande bovine, bois et caoutchouc issus de terres déforestées après 2020.
Sur le papier, l’objectif est clair : lutter contre la déforestation et rendre les filières plus transparentes. Un sujet de préoccupation au coeur de notre démarche. Et, il y a urgence : en Côte d’Ivoire entre 2000 et 2019, ce sont 2,4 millions d’hectares de forêts qui ont été remplacés par des plantations de cacao.
Mais sur le terrain, nos partenaires producteurs de cacao et café nous alertent : sans accompagnement adapté, ce règlement risque d’exclure des centaines de milliers de petits paysans du marché européen.
Lire le texte de position porté par Agronomes & Vétérinaires Sans Frontières - AVSF et ETHIQUABLE
Les risques identifiés
⇢ Exclusion du marché européen des plus vulnérables : la majorité des producteurs non organisés n’aura pas les moyens de prouver la légalité ou la traçabilité de leur production à l'entrée en vigueur du règlement.
Sur le million de producteurs de cacao estimé aujourd’hui en Côte d'Ivoire, ce sont quelque 800 000 producteurs non organisés qui vendent leur production à des acheteurs locaux sans traçabilité garantie à date. Au Pérou, sur environ 100 000 familles productrices, ce sont 70 000 familles qui commercialisent de façon individuelle leur cacao à des acheteurs locaux, sans aucune traçabilité là non plus.
⇢ Captation des données par les grandes entreprises exportatrices, renforçant leur pouvoir et leur contrôle sur les producteurs.
En Côte d’Ivoire, la grande majorité des données existantes concernant les producteurs et leurs productions de cacao est collectée par les entreprises exportatrices qui en ont la propriété.
⇢ Des dispositifs étatiques inexistants, flous ou inadaptés : complexes, coûteux et parfois contradictoires, ils risquent de freiner une mise en place effective du règlement.
À Madagascar et en Haïti, les producteurs sont livrés à eux-mêmes. Aucune disposition étatique n’est connue des organisations partenaires cacao. Ces coopératives ont néanmoins procédé au géoréférencement des parcelles et intégré les données dans leur système de traçabilité existant pour les certifications bio et équitable. À ce jour, elles ne disposent pas d’information sur la recevabilité de ces relevés.
En Côte d’Ivoire, l’État a mis en place un dispositif de traçabilité avec la distribution de cartes d’identification à code-barres pour chaque producteur. Les coopératives partenaires indiquent que moins de la moitié de leurs membres ont reçu leurs cartes à date. Aucun chiffre n’est communiqué pour les producteurs non organisés en coopératives. Les premiers tests sur les terminaux de lecture de ces cartes ont montré des cas de dysfonctionnements.
⇢ Charges financières peu soutenables : jusqu’à 107 €/tonne de cacao en Côte d’Ivoire pour la mise en conformité, difficile à absorber en totalité par les producteurs.
Mais aussi des opportunités
⇢ Les coopératives bio et équitables ont une longueur d'avance pour se mettre en conformité, car elles disposent déjà d’outils de traçabilité robustes.
⇢ Le RDUE peut encourager les producteurs isolés à rejoindre ou à s'organiser en coopératives.
⇢ Le RDUE peut devenir un levier de transparence et d’équité dans des filières où, aujourd’hui, seulement 6 % de la valeur du cacao revient aux paysans.
Nos positions communes avec AVSF
Pour que le RDUE atteigne son objectif sans sacrifier les producteurs les plus vulnérables qui n'auront plus accès au marché européen et en limitant les effets négatifs pour les producteurs organisés en coopérative, voici 4 les conditions indispensables qui nous demandons avec l’ONG Agronomes et Vétérinaires Sans Frontières :
1️⃣ Un accompagnement technique et financier réel, à défaut d'être massif, des organisations paysannes
2️⃣ Une simplification des démarches pour les coopératives déjà certifiées bio et équitables.
3️⃣ La propriété des données des producteurs aux producteurs eux-mêmes.
4️⃣ La mise en place de prix rémunérateurs garantis, condition indispensable pour lutter durablement contre la déforestation.
Oui, il faut un règlement ambitieux pour stopper la déforestation.
Mais il doit être opérationnel, efficient et inclusif.
Chez ETHIQUABLE, aux côtés d’AVSF et de nos partenaires producteurs, nous plaidons pour un RDUE qui soit à la fois un outil de protection des forêts et un tremplin pour une agriculture paysanne, résiliente et équitable.