“Les coopératives construisent un monde meilleur”. C'est sous ce slogan qu'a démarré l'année 2025, proclamée année internationale des coopératives par l’Assemblée générale des Nations Unies. L'occasion d'aller vérifier cet adage au sein de SCOP et SCIC que nous avons croisées durant nos vingt premières années de vie coopérative. Aujjourd'hui nos tendons le micro, ou plutpot le stylo, à Loïc Blanc, co-fondateur, coopérateur et administrateur de la SCIC Enercoop Midi Pyrénées.
Comment as-tu entendu parler pour la première fois des sociétés coopératives ?
Originaire du Limousin, une région marquée par la ruralité et une certaine culture ouvrière, j’ai entendu parler dans ma jeunesse de coopératives agricoles et ouvrières. Cependant c’est lors de mon parcours entrepreneurial que j’ai croisé le mouvement coopératif, d’abord de manière un peu lointaine en devenant sociétaire de la Scic Enercoop vers 2010, puis concrètement en 2012 lors d’une liquidation douloureuse qui a aboutit à la création de la Scop Editions 138 à Toulouse.
Qu’est-ce qui t’a décidé à travailler dans une SCOP/SCIC plutôt qu’un autre type de structure ?
J’ai vécu intrinsèquement la dérive du capitalisme : la première fois, à la fin d’une belle histoire entrepreneuriale de plus de 12 ans, où j’ai subi des décisions iniques par l'actionnaire majoritaire qui avait tous les pouvoirs, quel qu'ait été la contribution de chacun des collaborateurs à la réussite de cette entreprise.
Lors de difficultés importantes, il s’est enfermé dans sa tour d’ivoire, certains d’avoir toutes les connaissances pour faire face et ignorant totalement les compétences et la vision des salariés.
L’ironie du sort est que la société a été in fine liquidée : j’ai alors co-créé ex-nihilo, dans la foulée, avec l'appui de l’Urscop Midi-Pyrénées, une Coop 47 avec des ex-salariés licenciés motivés pour re-lancer une partie de l’activité à notre manière, et re-créer des emplois perdus. En parallèle, je me suis investi dans les débuts d’une start up de la fintech où nous étions cinq, espérant naïvement qu’il serait possible de casser les codes du management traditionnel.
Au bout de six mois j’ai explosé, ne trouvant aucune motivation à me lever tous les matins afin de créer de la valeur pour des actionnaires qui eux n’étaient pas dans l’entreprise.
A cette époque, j’avais ainsi à la fois un pied dans une start up capitaliste au management caricatural, et l’autre dans une start up coopérative.
C’est alors que j’ai décidé que je ne travaillerais que dans des structures où les valeurs de la coopération seront le socle, et si possible de l’économie sociale et solidaire. Un alignement de planètes m’a permis de co-créer Enercoop Midi-Pyrénées en 2014.
Quel changement as-tu immédiatement perçu en démarrant en entreprise.
En toute humilité, j’ai vraiment compris à ce moment-là ce que le mot coopération signifiait concrètement. La richesse de la dynamique collective a permis de co-construire les principes de décision et de responsabilisation, loin d’une organisation pyramidale traditionnelle. Ce “co” est important car il privilégie une approche respectueuse de l’humain.
Chez Enercoop Midi-Pyrénées nous avons, de plus, adopté les principes de la gouvernance partagée, une approche organisationnelle par rôles et missions, plutôt que par fonction. Ce mode de fonctionnement fait vivre nos valeurs et l‘esprit du mouvement coopératif tout en apportant les clés pour faciliter la réactivité, la prise d’initiative, l’adaptabilité, l’autonomie ainsi que le travail collaboratif.
Qu’est-ce qui a été le plus important pour toi quand tu as décidé de créer ta structure en SCOP / SCIC ?
Dans le cas de la Scop Editions 138, c’était incroyable de découvrir qu’il existait un antidote à cette maladie du pouvoir de l’argent et du capital. J’avais ainsi l’assurance que chaque salarié puisse être considéré en tant qu’être humain et que la coopération pouvait casser des plafonds de verre : la création, la gestion, le pilotage d’une entreprise ne sont pas réservés à des sachants ou des profils formatés.
Avec la création de la Scic Enercoop Midi-Pyrénées, c’est la dimension collective qui m’a marqué.
Elle était décuplée avec l’implication des sociétaires à tous les niveaux de sorte que cela a été d’un soutien inestimable pour préfigurer et lancer opérationnellement la coopérative.
Dans ces deux expériences, chacun a fait sa part dans un respect mutuel, un cadre de liberté et de citoyenneté loin des logiques de domination du cadre économique classique.
Une situation particulière où le statut d’entreprise coopérative a fait la différence ?
Pour Enercoop Midi-Pyrénées et particulièrement son statut de Scic, il a fallu un long travail d’acculturation autour de nos principes coopératifs, nos valeurs, notre vision et de cette troisième voie entre le tout privé et le tout public.
Notre positionnement long terme, notre démarche inclusive avec toutes les parties prenantes, caractéristiques de notre “intérêt collectif”, et nos réalisations exemplaires ont notamment convaincu les collectivités locales. Celles-ci ont de l’appétence pour notre approche à rebours des acteurs classiques aux moyens financiers d'envergure et aux pratiques peu vertueuses.
Dans votre secteur, on réagit comment au fait que vous soyez une entreprise coopérative ?
Le secteur de l’énergie a été très longtemps le domaine réservé de l’État. Il l’est encore en partie, notamment sur la question du nucléaire, mais ce sont des oligopoles, des multinationales et une multitude de sociétés dépendantes de fonds d’investissement qui s’activent.
C’est un secteur hyper capitalistique où les aspects économiques et techniques dominent les questions sociales et environnementales.
Face à la prédation capitaliste des gisements d'énergie renouvelable, nous sommes donc un ovni, un objet curieux. Le fait d’être une coopérative interroge autant que cela rassure : cependant après 10 ans d’existence nous avons acquis une grande légitimité et nous sommes une sorte d’assurance pour nos partenaires que l’intérêt général primera. Notre ancrage local est aussi un facteur clé qui rassure et offre une proximité singulière.
Une ou deux réactions qui t’ont marqué quand tu as expliqué que tu travaillais dans une SCIC autour de toi.
La plupart du temps, on me demande de quoi il s'agit. Il y a souvent un temps d’incompréhension puis rapidement un étonnement suivi d’un sourire d’approbation. Et rapidement viennent des questions précises pour mieux comprendre, s’assurer que cela est bien réel !
Si la majorité des personnes sont enthousiastes et parfois expriment clairement que cela devrait être partout comme cela, celles-ci peuvent aussi être mal à l’aise quand j’évoque le rapport au travail et notamment les questions de subordination et de citoyenneté. Mon interlocuteur peut en effet faire le parallèle avec sa propre situation au travail. Selon ce qu’elle est, les réactions peuvent être clivantes…
As-tu déjà conseillé, accompagné des personnes dans la création ou le passage en SCOP/SCIC ? Qu’est-ce qui a été important ?
Oui cela m’est arrivé par l’intermédiaire de l’Urscop, parfois ce sont directement des porteurs de projets qui me sollicitent.
Le plus important pour moi est de démystifier ce que j’appelle le « syndrome du pionnier », c'est-à-dire réussir à faire passer l’intérêt du collectif avant l’ego entrepreneurial.
Je m’attache toujours quand je suis appelé à témoigner sur mon parcours à souligner le « co » avant les mots création, fondation…
Par exemple, lors de la co-fondation d’Enercoop Midi-Pyrénées, c’est bien la logique collective qui a primée sur un projet personnel. Ma posture a toujours été d’être au service du projet, dans différentes dimensions, toujours collective. Quand bien même nos partenaires, le monde « extérieur » recherche toujours LA personne qui incarne, l'Entrepreneur… bref tout le cadre que rabâche la “start up nation” notamment. Les coopératives, au-delà de leur statut, peuvent faciliter et porter cette posture. Elles peuvent en être fières. Ce « co » est d’autant plus robuste qu’il s’inscrit dans le long terme.
Une autre SCOP / SCIC dont le parcours t’a marqué ?
Je pense à l’alliance des LicOOrnes (licoornes.coop), ce groupement de coopératives (Enercoop, Telecoop, Mobicoop, Windcoop, Biocoop, Coopcircuits, La Nef, Commown, Citiz, LabelEmmaus…) qui tentent de créer une économie coopérative qui soit la norme de l’économie de demain. Je suis fier à la fois de sa radicalité en réponse à l'urgence de l’effondrement de la biodiversité qu’engendre le système actuel, de sa capacité à se mobiliser, à innover, et bien sûr de son pouvoir de transformation !
Une structure que tu verrais bien en SCOP/ SCIC ? Pourquoi ?
Plus qu’une structure, c’est un secteur entier qu’il semble important d’investir pour le monde coopératif, c’est celui de la santé. Je pense notamment aux maisons de soins qui peuvent regrouper différentes professions libérales, paramédicales et autres thérapeuthes.
Il y a de nombreux besoins en milieu rural notamment, et de nouvelles coopérations entre ces différentes professions, qui pourraient, facilitées par les collectivités locales, aboutir à de nouveaux services, accessibles et pérennes. Il y a aussi les enjeux autour du vieillissement de la population et donc de la prise en charge de nos aînés…
Quand tu recrutes, est-ce que les candidat.es sont sensibles au statut de coopérative ? Est-ce que c’est un atout pour toi ?
Il est clair qu’être salarié d’une Scic s’est notamment participer à la vie coopérative, et chez Enercoop Midi-Pyrénées porter la co-responsabilité de notre outil de travail. Nous nous sommes aperçus que le cadre coopératif et celui de notre gouvernance opérationnelle peuvent être à la fois un atout majeur tout comme un frein pour certains candidats éloignés socio-culturellement de ces principes.
Aussi nous avons un processus de recrutement collectif qui s’attache à s’assurer qu’au-delà des compétences, les candidats soient à l’aise avec le cadre coopératif et avons un programme de parrainage et marrainage pour l’accueil des nouveaux arrivants. Globalement, nous avons eu peu de difficultés sur le recrutement, même sur des métiers dits en tension. En effet, c’est bien le projet coopératif, notre mode d’organisation et le sens au travail qui priment pour les candidats qui souhaitent nous rejoindre.
Trois adjectifs qui représentent bien pour toi une entreprise coopérative ?
Démocratique. Citoyenne. Robuste.
La plus grosse idée fausse sur les SCOP /SCIC que tu as pu entendre ?
Il n’est pas rare d’être confondue avec une association, fonctionnant à l’aide de subventions et ainsi de ne pas être considérée comme une entreprise. Comme si la question de la lucrativité limitée et du principe de gouvernance “une personne égale une voix” n'entrait pas dans le spectre économique. Alors nous devons parler le même langage pour nous faire comprendre, c'est-à-dire évoquer nos résultats économiques et financiers… et préciser que nous sommes rentables et même sans aucun mécanisme de soutien public.
Ceci étant, nombreuses entreprises du CAC 40 bénéficient de subsides publiques, et les associations ont un rôle important et complémentaire pour dynamiser la bifurcation écologique et sociale.
Si toutes les entreprises étaient en SCOP/ SCIC, ça serait…
Si toutes les entreprises étaient en Scop ou Scic, ça serait un grand pas vers de nouvelles relations au travail, l’émancipation des salariés, la bifurcation écologique et sociale.
Le prochain grand défi pour les entreprises coopératives ?
Les entreprises coopératives évoluent au sein d’un système économique écocide, fortement patriarcal, et qui n’hésite pas à galvauder les valeurs de la coopération. Comme “les statuts ne sont pas vertus”, il me semble que les entreprises coopératives doivent d’abord interroger leur raison d’être pour s’inscrire et participer à la nécessaire transition vers une économie plus démocratique, plus écologique, plus solidaire.
Etre plus “radical” face aux enjeux de l’effondrement de la biodiversité, savoir se “déconstruire” face à un des fondements de notre société, celui de notre rapport au travail (propriété de l’outil de travail, lien de subordination, citoyenneté et démocratie, égalité et équité, sens et finalité…).
Être plus en phase avec un futur souhaitable qu’elles peuvent représenter en même temps qu’elles le servent.
Les entreprises coopératives devront ainsi explorer des coopérations protéiformes et plurielles, qui peuvent amener de la complexité voire de la contre performance telle qu’elle est entendue classiquement, mais qui sont le fondement d’alternatives robustes.