Union Pro Agro - Commerce équitable en Bolivie - Café

Le cercle vertueux du commerce équitable

La Bolivie n'est pas que le pays le plus pauvre d'Amérique du Sud. C'est aussi le pays où le mouvement du commerce équitable laisse une empreinte forte. Le café y est véritablement un cas d'école du commerce équitable et Union Pro Agro/FECAFEB est une des coopératives de café les plus prometteuses du pays. Ses 190 producteurs sont à l'origine d'une dynamique qui a changé la filière café du pays.

Pourtant, le seul pays producteur de café sans littoral de l'Amérique Latine doit faire face à de nombreux défis que d'autres pays de production ne doivent pas traiter. La région du café est séparée des ports d'expédition par des cols de montagne s'étendant à prés de 4500 mètres. La Bolivie ne pèse rien sur le marché international étant donné son faible volume de production.

La logique voudrait qu'on y oublie la culture du café. C'est sans compter l'acidité complexe et élégance du cru bolivien que le commerce équitable a permis de découvrir.

Janvier 2014 - ETHIQUABLE fait partie de la délégation qui accompagne le ministre de l'Economie sociale et solidaire, Benoît Hamon, dans son déplacement officiel en Amérique latine. L'invitation du Ministre est une reconnaissance de notre travail sur le commerce équitable et de notre spécificité dans le paysage des acteurs de l'économie sociale et solidaire. Les producteurs offrent un dépulpeur à café miniature au ministre, en présence d'AVSF - Agronomes et Vétérinaires Sans Frontières.

Le café de Bolivie : un cas d’école du commerce équitable

La Bolivie ne produit que 5.000 tonnes de café par an, soit 0,7% de la production mondiale. Autant dire que le pays ne pèse rien sur le marché international. La filière café de Bolivie souffrait autrefois d’une très mauvaise image. Les importateurs reprochaient aux exportateurs boliviens une qualité médiocre à cause des mauvaises pratiques de transformation et trop peu de constance dans le respect des contrats.

Pendant de nombreuses années, et cela jusqu’au début des années 2000, le café bolivien subissait la décote la plus importante d'Amérique latine : de - 25 à - 30 dollars par sac (45,35kg) par rapport au prix de la bourse de New York, soit environ 25 % de moins que le prix du marché pour un arabica standard. A la même époque, les pays qui avaient organisé des filières de qualité obtenaient des différentiels positifs, + 25 dollars par exemple pour la Colombie.

Les producteurs de café de Bolivie étaient alors parmi les plus pauvres du continent.

Les exportateurs et leur réseau de collecteurs ne parvenaient pas à générer une dynamique d’amélioration de la qualité. Ils n’avaient pas les moyens, ni la volonté, de payer un prix rémunérateur aux producteurs. Ces derniers n’avaient aucun intérêt à produire de la qualité puisqu’elle n’était pas récompensée par les commerçants. Plusieurs coopératives existaient déjà, mais elles n’arrivaient que rarement à exporter directement et avaient ainsi peu d’impact.

Le développement du commerce équitable à la fin des années 90 va constituer une rampe de lancement pour les coopératives boliviennes.

Le commerce équitable va générer un cercle vertueux d’amélioration de la qualité : le prix rémunérateurs vont inciter les producteurs à améliorer la qualité et la nouvelle image du produit permettra d’accéder à des marchés plus rémunérateurs. De nouvelles coopératives vont se créées, ainsi qu’une fédération nationale, la FECAFEB. Elles vont bénéficier d’un appui de l’ONG française Agronomes et Vétérinaires Sans Frontières (AVSF) entre 1998 et 2006. Le projet va apporter un soutien technique à l’amélioration de la qualité, la mise en œuvre de certifications biologiques et commerce équitable et surtout le renforcement des capacités de gestion des organisations.

Les coopératives sont ainsi parvenues progressivement à exporter directement. Entre 2000 et 2005, les prix à l’exportation du café bolivien augmente de plus 50 %.

Aujourd’hui plus de 80% du volume du café produit en Bolivie est valorisé en bio et équitable.

L’amélioration de la qualité impulsée par les organisations de producteurs a eu un impact positif sur l’ensemble de la filière nationale. Les cafés boliviens ont aujourd’hui gagné en image. Les différentiels négatifs par rapport au cours de la bourse de New York, autrefois appliqués par les importateurs, ont aujourd’hui totalement disparu. L’impact du commerce équitable sur les revenus des caféiculteurs boliviens est très important.

La Bolivie est ainsi un des exemples d’impact macro du commerce équitable, puisqu’il a transformé la filière café à l’échelle du pays entier.

Les Yungas : la région du café bolivien

La quasi totalité du café de Bolivie est produit dans une seule région : les Yungas de La Paz. Cette région se situe sur le piémont amazonien, à la transition entre la forêt amazonienne et les steppes d’altitude des Andes. Au-delà de la grande cordillère, les versants des Andes au climat chaud et humide sont couverts d’une forêt ombrophile (forêt tropicale humide) de montagne qui devient de plus en plus dense au fur et à mesure de la descente vers l’Amazonie. Les conditions écologiques des Yungas entre 1300 et 2000 mètres d’altitude sont particulièrement aptes pour deux cultures : le café et la coca.

La partie haute des Yungas, proche de la ville de La Paz, était cultivée depuis les Incas, notamment pour la culture traditionnelle de la coca. Les grandes haciendas coloniales qui s’y étaient installées ne furent démantelées que dans les années 50 par la réforme agraire. Les communautés paysannes y produisirent du café, mais surtout de la coca destinée au marché de la consommation traditionnelle bolivienne.

La partie basse de Yungas, plus éloignée de l’altiplano, est restée une forêt impénétrable jusque dans les années 50, période à laquelle l’Etat organisa la colonisation agricole de ce territoire. Les colons sont des paysans aymara de l’altiplano qui décident de quitter leurs communautés d’origine où la densité de population est trop importante et les parcelles familiales trop petites pour vivre décemment.

A leur arrivée dans les Yungas, chaque famille est dotée d’une parcelle de forêt de 10 hectares à défricher. L’Etat regroupe les arrivants en coopératives pour gérer le foncier, mais celles-ci n’avaient pas pour but de commercialiser le café. Dans un premier temps, les colons s’installent dans les zones les plus basses et les plus facilement accessibles où ils cultivent des productions tropicales : du riz, du maïs, des bananiers et des agrumes.

Au fur et à mesure des années, le front de colonisation agricole remonte peu à peu vers les zones hautes au-dessus de 1300 mètres d’altitude, particulièrement favorables à la culture du café arabica de qualité. Ces nouvelles zones ne seront colonisées que dans les années 70-80 par de nouveaux migrants provenant de l’altiplano, mais aussi par les fils des colons de la première vague dont les parcelles ont déjà perdu leur fertilité.

Dans cette période, de 1975 à 1990, le moteur de la colonisation sera le café.

La défriche de la forêt permettra de profiter de sols jeunes et de la fertilité accumulée dans la biomasse de la forêt naturelle. Les rendements obtenus par ces nouveaux caféiculteurs seront très élevés (1300kg/ha à 2200 kg/ha). C’est à cette époque que vont s’installer les colonies qui produisent aujourd’hui la grande majorité du café bolivien.

Dans ces premières décennies les paysans aymaras garderont toujours leurs liens avec leurs communautés d’origine dans l’altiplano. La colonisation des Yungas n’est pas une migration définitive, mais entre dans la stratégie de diversité d’activités sur de multiples espaces des indiens aymaras. Les familles migraient temporairement pendant la récolte du café d’août à octobre, puis retournaient dans leurs communautés d’origine de l’altiplano.

Dans années 80 et 90, la vie dans ces zones de colonisation était très rude.

Il n’y avait pas d'écoles, pas d'électricité, ni d’adduction d’eau. La région était desservie par une seule route très escarpée et particulièrement dangereuse. Ces conditions difficiles ne contribuaient pas à une sédentarisation des familles dans les Yungas. Le renforcement des organisations de producteurs de café est difficile dans un tel contexte.

AVSF décide de lancer un vaste programme de formation pour adultes destiné aux leaders des coopératives. Peu à peu émerge une nouvelle génération de coopérateurs. Ils apprennent la gestion et les techniques de commercialisation. Ils voyagent en Europe à la rencontre des acheteurs du commerce équitable.

Aujourd’hui, une cinquantaine de petites coopératives (de 50 à 100 familles) réunies au sein de la fédération FECAFEB, exportent plus de 80 % du café bolivien et ne laissent pratiquement que les écarts de triage aux commerçants de la région.

Le choix des coopératives boliviennes de soutenir le Symbole des Producteurs Paysans

Avec le développement du commerce équitable aux Etats-Unis, la Bolivie est devenue une région d’achat privilégiée pour certaines grandes entreprises internationales. Tout en respectant les conditions des labels équitables, ces grands groupes mettent les petits producteurs boliviens en concurrence avec de grandes plantations du Brésil ou d’Amérique centrale et font pression sur les prix des cafés bio.

Les producteurs boliviens ont été parmi les plus actifs dans le réseau latino-américain des producteurs du commerce équitable (CLAC) pour mettre en place la certification Symbole des Producteurs Paysans (SPP), mettant davantage en avant la spécificité des petits producteurs. Les caféiculteurs de la FECAFEB voient là une manière de valoriser leur double spécificité : celle d’être des petits producteurs et d’être regroupés dans des coopératives paysannes de petites tailles. En 2010, la FECAFEB décide de promouvoir le Symbole des Producteurs Paysans (SPP) mais attend des demandes concrètes d'achat de la part d’importateurs pour entamer les démarches de certification.

De notre côté, nous décidons de lancer un café de mélange d’arabicas sous la certification SPP qui a pour but de soutenir plusieurs coopératives pionnières dans cette nouvelle démarche. Et nous sélectionnons, en accord avec la FECAFEB, la coopérative de base Union Pro-agro.

Située dans une région de haute altitude (1500-1800m), cette coopérative est au centre de la zone caféière de Caranavi. Union Pro Agro regroupe l’ensemble des 190 familles de producteurs de 11 communautés (colonies de la réforme agraire). Elle obtient ainsi une meilleure efficacité dans la collecte et la transformation primaire du café. 40% du café est dépulpés et lavé dans des unités de transformation centralisées, permettant de produire un café homogène d’une qualité exceptionnelle. La bonne gestion et la valorisation de leur café dans les circuits du commerce équitable ont permis à la coopérative de construire à la périphérie de La Paz (El Alto) sa propre usine de préparation du café vert d'exportation.

Union pro-agro est la première coopérative de Bolivie ayant concrétisée la certification Symbole des Producteurs Paysans (SPP). L’audit est été réalisé par Biolatina, le certificateur bio de la coopérative. D'autres coopératives boliviennes vont suivre. Le SPP permet aux coopératives d’accéder aux acheteurs les plus engagés en faveur d’un commerce équitable exigeant, mais aussi d'obtenir des prix minimum garanti plus élevés.

Le Symbole des Producteurs Paysans : un prix minimum garanti supérieur de 15 %.

Dans le cas du Symbole des Producteurs Paysans (SPP), le prix minimum garanti du café bio et équitable est de 2,20 USD / livre. Dans le cas du système Max Havelaar il est de 1,90 USD / livre.

Les habitants de zones hautes, au-delà de 1300 mètres d'altitude, cultivent presque exclusivement du café sur 6 à 7 hectares. Avec des ventes aux conditions du Symbole des Producteurs Paysans (SPP) des revenus bruts de plus de 12 000 USD/an (9000 livres à 1,55 USD / livre) sont possibles. De ce revenu brut, il faut déduire les frais de main d'œuvre pour la récolte manuelle : de 3000 à 4000 USD selon la production et la main d'œuvre familiale disponible. Ce travail est souvent réalisé par les jeunes de la famille de l'Altiplano qui là un emploi temporaire pendant la récolte.

Ces familles obtiennent donc un revenu mensuel de 600 USD, donc plus que le besoin mensuel minimum d'une famille de 5 personnes qui vit à la capitale La Paz (environ 500 USD).

Les familles vivent décemment de l'activité caféière. Elles parviennent à scolariser leurs enfants jusqu’au bac et qui peuvent même envisager d’aller demain à l’université.

Les habitants des zones moyennes de 1100 à 1300 m d'altitude ont moins de café, environ 3 à 4 hectares, mais diversifient leur production avec des arbres fruitiers et autres cultures vivrières. Dans la zone basse, de 900 à 1100 m, les familles obtiennent également des revenus de la culture légale de la coca destiné à l’usage traditionnel de la mastication. La production de café se limite alors à 2 ou 3 hectares.

De fortes capacités d'épargne au sein de la coopérative

Union Pro AGRO a acheté l’usine de plus gros commerçant de café de CARANAVI il y a 2 ans. Avec un crédit de la banque d’Etat BdP (prêt sur 5 ans), ils ont déplacé les machines à La Paz où le climat plus adapté au séchage du café. La coopérative a investi 120 000 USD de capital, provenant principalement de la prime du commerce équitable au cours des dernières années, dans la construction des entrepôts à La Paz. Le terrain de Caranavi est aujourd'hui estimé à 200 000 USD. Il constitue une garantie pour que la coopérative puisse obtenir de nouveaux prêts. Union Pro AGRO a également mis en place une caisse d'épargne-crédit qui offre aujourd'hui des prêts de campagne aux caféiculteurs (2000 USD sur une durée de 24 mois).

Lire l'étude d’impact du commerce équitable chez Union Pro Agro d'AVSF

Depuis l'étude d’impact réalisée par AVSF en 2007, Union Pro-Agro a connu de nouvelles transformations liées au commerce équitable.

Au niveau économique, AVSF démontrait comment les organisations avaient maintenu les caféières malgré l’effondrement du marché, et cela grâce au prix minimum garanti.

Depuis quelques années, les services de base ont été mis en place dans les Yungas. Les communautés ont cofinancé l'électrification et des collèges et des lycées se sont installés. Cela encourage les familles à abandonner les migrations temporaires vers l’altiplano. Souvent elles transforment leur maison de fortune en résidence principale. Les jeunes qui ont étudié et passé leur bac dans les Yungas ne se réfèrent plus au village d'origine comme leurs parents arrivés il y a 15 ou 30 ans. La région se structure, de véritables villages prennent forme. Le café est le moteur de cette transformation structurelle.

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