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Pourquoi vous ne verrez pas le nouveau label Max Havelaar sur nos produits

Publié le 11 février 2014 - Dernière mise à jour le 05 mars 2015

Le moteur de notre entreprise coopérative est de développer le commerce équitable. Nous sommes et serons toujours en faveur de mesures qui cherchent à accroitre la part de l'équitable dans le commerce mondial.

Mais pas à n'importe quel prix... et certainement pas en baissant les exigences d'un commerce plus juste. C'est portant aujourd'hui ce que propose le nouveau label Fairtrade-Max Havelaar.

Nous souhaitons partager avec vous notre point de vue sur cette initiative.  

Qu'est-ce que change le label FSP ?

En novembre dernier, le conseil d’administration de Fairtrade International a adopté la création d’un un nouveau label de commerce équitable : le FSP, Programmes d’approvisionnement Fairtrade.

Le FSP est présenté comme un assouplissement important du cahier des charges Max Havelaar Fairtrade pour augmenter les débouchés. Il vise à séduire les multinationales. 

Lire l'article de La Croix Le commerce équitable cherche à séduire les multinationales

Précisons que le débat a été vif au sein de Fairtrade-Max Havelaar puisque la CLAC, le réseau de producteurs latino-américain qui représente plus de 300 coopérative de petits producteurs et réalise plus de 60 % des ventes Fairtrade-Max Havelaar dans le monde a voté contre la proposition.
Les latino-américains ont été minoritaires dans le vote final car les producteurs africains et asiatiques, ainsi que les associations nationales des pays consommateurs (les Max Havelaar de chaque pays) ont voté pour cette nouvelle initiative.

Pour trouver de nouveaux débouchés, Max Havelaar au niveau mondial a donc décidé de modifier une règle d'or de son système de labellisation : le « tout ce qui peut être équitable doit être équitable » n'est plus de mise avec le nouveau label. 

Concrètement, une tablette de chocolat aux noix de cajou labellisée Max Havelaar doit obligatoirement contenir du cacao, du sucre et de la noix de cajou équitables. Le FSP remet en cause une règle, jusque-là, d’or en ouvrant la possibilité de n’avoir qu’un seul de ces ingrédients équitables.

Si l’on prend l’exemple d’une célèbre barre chocolatée qui contient un % très faible de cacao, seul le cacao pourrait être équitable et non le sucre qui en est pourtant l’ingrédient majoritaire.

Dans ce cas, le produit porte un logo un peu différent du logo Max Havelaar actuel, avec des couleurs légèrement modifiées et l’inscription du « programme » concerné : programme cacao. 
De quoi perdre les consommateurs puisque le dessin du nouveau label est très proche de « l’ancien ».

Avec ce nouveau label, Max Havelaar confirme l’existence d’un commerce équitable à deux vitesses. Aux consommateurs de comprendre ce qu’ils achètent…


A première vue, le FSP pourrait apparaître comme un changement mineur dont l’objectif est de développer le commerce équitable à grande échelle.

A cet égard, l’annonce la plus spectaculaire est sans doute le contrat conclu par Mars, la multinationale ayant annoncé que 100 % du cacao servant à fabriquer les barres Twix (la fameuse barre) vendues en Allemagne sera labellisée équitable.

Lire l'article de Novethic Mars veut 100% de cacao issu de sources certifiées d'ici 2020

Un label qui répond à la demande des multinationales

Mais la réelle portée de cette réforme drastique ne peut se comprendre que si l’on considère les évolutions du cahier des charges même de Faitrade-Max Havelaar au cours des dernières années. Elles nous incitent à penser à partir de notre connaissance de terrain que le FSP ne cherche pas à séduire les multinationales mais plutôt à répondre à leur demande.

Le premier élément qui peut certes étonner, concerne le prix équitable garanti par Fairtrade-Max Havelaar et notamment celui du cacao.

Le prix minimum garanti du cacao fixé à 2000 USD/tonne est actuellement jugé trop bas par les producteurs de la CLAC… mais aussi par la bourse de New York puisque le cours du cacao n’est jamais passé en dessous de ce seuil des 2 000 $ au cours des quinze dernières années.
 
Ce prix minimum est tellement bas que dans la pratique les importateurs achètent leur cacao équitable au prix du marché. Seule la prime de développement (10% à 15% du prix à payer en plus) établie une différence avec le cours du cacao conventionnel.
 
Dans la pratique, pour assurer une rémunération décente aux petits producteurs de cacao, les entreprises engagées contractualisent des prix d’achat bien au-dessus du prix FairTrade Max Havelaar.
 
ETHIQUABLE n’a ainsi pas acheté de cacao équitable et bio à moins de 3 200 $ (3400 $ prime de développement incluse) au cours des dernières années.
 
Pour le sucre, la situation est encore plus extrême puisque aucun prix minimum garanti n’a jamais été défini par Faitrade-Max Havelaar.

Comment expliquer que Fairtrade-Max Havelaar prenne telles positions plutôt qu’imposer un commerce équitable exigeant aux grands acteurs du marché ?

Tout simplement, parce que le marché de la labellisation commerce équitable/développement durable connaît une forte concurrence avec l’émergence de 2 autres labels Utz et Rain Forest, qui se sont depuis toujours calés sur les prix des marchés conventionnels.
Les grands acteurs mettent ainsi le label Faitrade-Max Havelaar en concurrence avec les autres deux labels. Pour apposer son logo sur davantage de barres chocolatées, Faitrade-Max Havelaar a été donc obligé de sacrifier ses prix minimum garantis.
 
Pourtant, faut-il le rappeler, le prix minimum garanti est un concept clé du commerce équitable. Toutes les études réalisées montrent combien il est à la source de l’impact obtenu sur le terrain. L’effondrement des cours suite à une phase de surproduction ou de spéculation boursière a de conséquences graves sur l’agriculture paysanne. En garantissant des prix stables, le commerce équitable a su maintenir des coopératives et des régions entières à flot.
Ce fût notamment le cas entre 2000 et 2005 lorsque les cours du café étaient au plus bas et que les acheteurs équitables respectaient un prix minimum garanti de 50% à 100% de plus que le marché boursier. C’est de nouveau le cas aujourd’hui avec des cours internationaux du café à 110 USD/sac et un prix minimum garanti du café équitable et bio de 190 USD/sac.
Sans prix minimum garanti réellement fonctionnels, le label Fairtrade-Max Havelaar diminue considérablement l’impact du commerce équitable.

Un autre changement d’importance des règles du label Fairtrade-Max Havelaar au cours de ces dernières années concerne le mass balance qui autorise une traçabilité documentaire et non plus une traçabilité physique pour la fabrication de chocolat.

Le mass balance permet à un industriel d’acheter une quantité de cacao certifié et de produire l’équivalent en chocolat certifié, sans qu’il y ait obligation d’utiliser ce cacao équitable dans les barres chocolatées qui portent pourtant le logo Fairtrade-Max Havelaar.
Autrement dit, avec une traçabilité documentaire seule, votre tablette de chocolat labellisée commerce équitable ne contient sans pas de cacao équitable.
Notre lecture est que le mass balance a été mis en œuvre à la demande des entreprises multinationales du chocolat qui ont exigé cette souplesse dans leurs approvisionnements et dans la gestion des flux dans leurs usines.
 
Pour ETHIQUABLE, le mass balance est incompatible avec une réelle démarche de commerce équitable. Nous pratiquons donc toujours une traçabilité physique, garantissant aux consommateurs que le cacao dans nos chocolats est bien celui que nous achetons auprès des organisations de petits producteurs partenaires.
 
Notre expérience nous montre que les entreprises engagées ne sont pas les seules à refuser le mass balance. En France, les PME restent très attachées à garantir une réelle traçabilité physique à leurs consommateurs avec la transparence qu’exige une démarche de commerce équitable. Le mass balance correspond plus que tout aux préoccupations des grands groupes industriels marqués par la culture du secret industriel.
 

Un autre thème d’inquiétude à nos yeux est le fléchage de la prime de développement.

Depuis quelques temps de nouvelles modalités sont en discussion au sein du système Faitrade-Max Havelaar, bien qu’aucune décision ne soit prise à l’heure actuelle.
 
La prime de développement est versée à la coopérative de producteurs, en plus du prix équitable, pour financer des projets de développement économiques ou sociaux, définis par la coopérative et validés par son assemblée générale. La coopérative décide de son investissement de façon autonome.
 
La discussion actuelle vise à canaliser une partie de la prime vers la rénovation et l’amélioration des plantations de cacao. Une possibilité évoquée consiste même à créer un fonds par pays, qui serait alimenté par une portion de la prime et qui financerait des programmes d’appui à la production du cacao.
 

D’où vient cette proposition ?

 
En Côte d’Ivoire, premier producteur de cacao au monde, nous avons constaté sur le terrain que les entreprises multinationales appliquent souvent la même stratégie pour s’assurer l’accès à un volume de cacao de qualité et certifié : elles prennent attache avec des coopératives qu’elles appuient pour mettre en place une triple certification : Rain Forest, Utz et Fairtrade-Max Havelaar et elles financent un programme d’assistance technique aux producteurs (techniciens, diffusion de plants de cacaoyers..).
 
Cet investissement fait office de prime de développement pour les labels Utz et Rain Forest.
 
Pourquoi les grands acteurs du chocolat s’investissent dans les labels ?
Les analystes confirment actuellement une forte augmentation de la consommation mondiale de cacao, qui pourrait conduire à un déséquilibre sur le marché, donc à un prix élevé du cacao.
Les multinationales du chocolat ont toutes annoncé que d’ici 2020, tout leur cacao serait certifié développement durable.
Dans un contexte où l’offre de cacao est tendue, l’accroissement de la production, la rénovation des plantations et la qualité des fèves sont des objectifs clés pour sécuriser les approvisionnements de cacao, en s’assurant d’une qualité standard et d’un prix acceptable. Ces grands acteurs décident de payer un peu plus sous forme de prime de développement mais ils veulent s’assurer que cet argent va bien à l’investissement qu’elles souhaitent.
 
Ainsi, lorsqu’elles doivent payer une prime de développement de 200 USD/tonne en plus avec le Fairtrade-Max Havelaar, ces entreprises multinationales ont le sentiment de devoir « payer deux fois ».  On comprend donc leur demande d’adapter les modalités de prime de développement de Fairtrade-Max Havelaar.
 
Les producteurs de cacao de la CLAC sont à l’évidence très hostiles à cette proposition de fléchage de la prime de développement.
Trouver des acheteurs qui résument leur action à payer une prime de commerce équitable, sans respecter les autres contraintes du label Max Havelaar, c’est priver les producteurs de tous les effets positifs du commerce équitable.
Au-delà, le flèchage de la prime de développement remet en cause le principe d’indépendance du choix des producteurs. Il contribue également à une prise de pouvoir des acheteurs sur le commerce équitable.
 

Le processus d’adaptation des standards de Fairtrade-Max Havelaar aux besoins des multinationales va probablement continuer. Une prochaine étape pourrait bien concerner l’introduction des plantations et l’extension de l’agriculture de contrat au détriment de la préférence actuelle pour les petits producteurs organisés.

Des plantations sont aujourd’hui certifiées par Fairtrade-Max Havelaar pour la banane, le thé et les fleurs. Environ 1 banane équitable sur 2 provient aujourd’hui de plantations bien que les petits producteurs de banane équitable ne vendent pas la totalité de leur volume en commerce équitable. 
 
La possibilité d’étendre l’accès des plantations à d’autres produits est en discussion depuis plusieurs années. Les producteurs d’Amérique latine y sont fermement opposés avec un motif simple : cela conduit à une concurrence déloyale avec les coopératives de petits producteurs.
Face à la position ferme de la CLAC, Fairtrade-Max Havelaar s’est engagé à ne pas considérer les plantations pour le café, le sucre et le cacao jusqu’en 2015.
Après 2015, le sujet sera à nouveau débattu. Etant donné la forte demande des multinationales pour que les plantations soient prises en compte comme c’est déjà le cas pour les labels Utz et Rain Forest, on peut s’attendre à une possible évolution de Fairtrade-Max Havelaar dans ce sens.
 
Il en va de même pour l’agriculture de contrat qui dans le commerce équitable est aujourd’hui limitée à l’Inde pour deux produits, le riz et le coton. Là aussi, il y a un engagement de ne pas l’étendre à d’autres produits pour le moment. Cela permettrait à des entreprises de passer des contrats de collecte directement avec des producteurs sans passer par des coopératives.
Ce système favorise un commerce équitable sans organisations de producteurs.
Dans le domaine du cacao, il est prévisible que l’agriculture de contrat se développe davantage que les plantations car le cacao reste surtout une production de petits producteurs. Nous avons constaté que les entreprises multinationales présentes en Côte d’Ivoire nouent d’ors et déjà des relations de ce type.
 

Plus de vente pour moins d’impact

Selon Fairtrade-Max Havelaar, l’accroissement des ventes qui résultera du nouveau label FSP est une nécessité pour permettre à plus de producteurs de bénéficier du commerce équitable.
 
Pour le réseau latino-américain CLAC, l’insuffisance des ventes ne peut être dissociée de la nécessité de réguler l’entrée de nouveaux producteurs dans le système.
 
Si Fairtrade-Max Havelaar intègre plus de nouveaux producteurs que la capacité du marché équitable à l’absorber, il y aura toujours un déséquilibre.
 
Nous avons noté que 57 organisations de producteurs de Cote d’Ivoire, produisant plus de 50 000 tonnes de cacaos, sont entrées dans le système Fairtrade-Max Havelaar en moins de deux ans, avec de fortes expectatives commerciales.
 
Notre inquiétude est d’autant plus grande que cet accroissement des organisations de producteurs s’est fait sous l’impulsion des multinationales. Les coopératives ivoiriennes nées dans les 10 dernières années restent souvent fragiles. Nous avons constaté au cours d’une mission de terrain qu’elles ont de très faibles capacités de gestion et sont totalement dépendantes des entreprises multinationales.
 
Souvent ces coopératives n’assument pas de véritables fonctions. Elles collectent du cacao avec les moyens financiers apportés par les entreprises et servent de relais entre le producteur et l’entrepôt de l’entreprise dans une logique souvent assez proche de celle des collecteurs traditionnels.
Le risque est de voir se développer des organisations de producteurs très différentes de celles avec lesquelles collabore le commerce équitable jusqu’à présent. Ce nouveau commerce équitable permettra certes de collecter des volumes importants, mais aura renoncé à aux transformations sociales ou aux changements des rapports de force que le commerce équitable appelle.
De notre point de vue il serait préférable de soutenir de véritables dynamiques d’organisations autonomes qui maîtrisent leur marché et leur exportation, au lieu de déclencher la certification d’un grand nombre d’organisations faibles avec un risque de voir se multiplier des « coquilles vides » fonctionnelles au marché.
 
L’entreprise engagée que nous sommes se trouve ainsi mis au même niveau que des marques qui ne respectent ni les mêmes conditions de prix, ni les mêmes engagements auprès des producteurs. Le risque est grand de voir les entreprises engagées apporter leur caution à une démarche très éloignée de la leur.
 
C’est d’ailleurs pour cette raison qu’une majorité d’entre elles prennent aujourd’hui leur distance avec le label Fairtrade-Max Havelaar, comme c’est le cas de Equal Exchange aux Etats-Unis, GEPA en Allemagne ou dernièrement CLARO en Suisse.
 
Pour ETHIQUABLE, le choix de soutenir le Symbole des Petits Producteur apparaît toujours plus pertinent. Le SPP est une initiative de certification appartenant aux producteurs eux-mêmes, basé sur un système d’audit réalisé par des organismes agréés (les certificateurs de la bio). Il renoue avec les fondamentaux du commerce équitable : la priorité aux petits producteurs organisés avec une véritable vision de transformation sociale.
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