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EGALIM : la montagne qui accouche d'une souris

Publié le 01 juin 2018 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2020

Le ministre de l’Agriculture, Stéphane Travert, avait annoncé une « révolution ». 50 organisations de la société civile (ONG environnementales et de solidarité internationale, Confédération paysanne, UFC-Que choisir…) et les acteurs du commerce équitable pointent le manque d’ambition du texte.

Cette loi engage-t-elle l’agriculture dans un vrai changement de modèle, plus respectueux de l’environnement, de la santé ? Cette loi permet-elle de rééquilibrer le rapport de force économique au sein de la filière agricole avec un prix juste pour les agriculteurs ?
 

La montagne

Tout ça pour ça. La formule résume bien l'année entière de travaux jusqu'à l'adoption de la loi. Petit rappel en chiffre.

Du 20 juillet au 21 décembre 2017, les Etats généraux de l'alimentation (EGA) pour "un temps de réflexion partagée et de construction collective de solutions nouvelles"

  • durée 6 mois
  • 35 000 heures de mobilisation et de travaux
  • des ateliers nationaux, régionaux et locaux avec l'ensemble des parties prenantes : monde agricole et de la pêche, industrie agroalimentaire, distribution, consommateurs, restauration collective, élus, partenaires sociaux, acteurs de l'économie sociale et solidaire, et de la santé, ONG, associations caritatives et d'aide alimentaire à l'international, banques et assurances
  • une consultation publique en ligne

Du 31 janvier au 30 mai 2018 : Le projet de loi « pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable » présenté par le ministre de l'agriculture Stéphane Travert le 31 janvier 2018 en Conseil des ministres, est adopté le mercredi 30 mai à la majorité.

  • 339 voix contre 84, avec 130 abstentions
  • huit jours de débats
  • 2500 amendements
     

La souris

Au final, on ne peut que constater une opportunité ratée et une série de renoncements quant aux objectifs annoncés. La liste est longue.

Evidemment, on retient entres autres les manques sur le glyphosate, sur le bien-être animal, sur les publicité pour des aliments trop gras, trop sucrés ou trop salés à destination des enfants.

Ces oublis pèsent bien lourd par rapport aux avancées comme les doggy-bags dans les restaurants, l'interdiction d'utiliser des bouteilles d'eau plate dans les cantines à partir de 2020 ou le principe d'un objectif à 50% de produits bio ou préservant l'environnement dans la restauration collective.
 

Et le commerce équitable ?
Nul n'est censé ignorer la loi... pas même le ministre de l'Agriculture

Une feuille de route publiée par le Premier ministre en clôture des EGA, prévoyait l’élaboration d'un plan d'actions en faveur du commerce équitable. Et en même temps, aucune référence au commerce équitable n’était faite dans la première version du texte de loi.

Lors du débat à l'Assemblée nationale, deux amendements, l’un visant à introduire les produits issus du commerce équitable dans les objectifs chiffrés d’amélioration de la durabilité de la restauration collective et l’autre à protéger l’emploi du terme « équitable » ont été portés et soutenus par des députés de tous bords, mais se sont heurtés à l'ignorance de la loi actuellement en vigueur par le ministre de l'Agriculture.

Tout les acteurs du commerce équitable déplorent particulièrement l’incohérence des arguments mobilisés lors de la plénière de l’Assemblée Nationale pour justifier le rejet des amendements déposés.

Le Ministre de l’Agriculture lui-même ainsi que le rapporteur de loi, feignent d’ignorer que le commerce équitable peut s’appliquer, depuis 2014, aux producteurs français et prétendent que favoriser le commerce équitable pourrait rentrer en concurrence avec l’objectif de renforcer les approvisionnements locaux de la restauration collective.

Le caractère erroné de ces justifications laisse pantois. On a bien cherché mais on peine à voir la concurrence entre les producteurs de cacao de la coopérative FECCANO en Haïti ou de café de la coopérative FONDO  et les producteurs de lentilles de la coopérative Qualisol dans le Gers ou de fruits rouges de Terr'Etic dans les Monts du Lyonnais.

Ne dressons pas les agricultures paysannes les unes contre les autres pour masquer le grand absent de cette loi : un prix équitable et rémunérateur pour les agriculteurs... qui est pourtant la question posée par le gouvernement à l'origine.

Au final : aucune garantie de prix pour les producteurs

La priorité de la loi est de « redonner le juste prix à la production » avec une volonté de mieux répartir la valeur pour que les agriculteurs puissent vivre dignement de leur production. Deux mesures sont censées y contribuer : une "définition des prix inversée" et le relèvement du seuil de revente à perte à 10%.

Quand on parle de juste prix, on pense forcément au commerce équitable et son prix minimum garanti aux producteurs. Ce principe a pourtant été balayé. La raison avancée par le Ministre de l'agriculture : un prix minimum empêche d'écouler des excédents. Une fausse barbe selon nous, car ce mécanisme que les acteurs du commerce équitable pratiquent depuis une trentaine d'années n'a jamais présenté de difficulté en cas d'excédent de production.

La solution choisie repose sur un processus de construction inversé du prix payé aux agriculteurs qui s’appuie désormais sur les coûts de production des producteurs. Le contrat et le prix associé sont proposés par celui qui vend.

Il y a quelques raisons de douter d'un inversement spontané des rapports de force dans la définition des prix. Naïveté ou angélisme, nous hésitons.

Le deuxième axe présenté par le Gouvernement comme la mesure phare pour défendre le revenu des agriculteurs est le relèvement du seuil de revente à perte. Concrètement, avec cette nouvelle mesure, la distribution est obligée de revendre au minimum tout produit alimentaire au prix qu'elle l'a acheté majoré de 10%. Aujourd'hui, la distribution a le droit d'acheter un produit 100 et de le revendre 100. Demain, elle devra le revendre 110.

En cas cette mesure va-t-elle défendre le revenu des produteurs ? L'hypothèse est que les distributeurs pratiquent une guerre des prix qui les poussent à revendre aux consommateurs à des prix de plus en plus bas. Pour maintenir leur marge, les distributeurs font pression sur les producteurs pour qu'ils baissent leur prix de vente. Avec une revente à +10%, par effet de "ruisellement", les prix agricoles se "relèveront".

Cet effet de ruisellement semble quasi chimérique. Tous les syndicat agricoles de la Confédération Paysanne à la FNSEA l'affirment : il n'y aura aucune hausse des prix aux producteurs. Plus réalistes, beaucoup pointent une inflation des prix aux consommateurs.  

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